Souvenir sur les premières émissions expérimentales de télévision à Paris P.T.T.
1932-1933
Par R. BARTHELEMY,
Membre de l’Académie des Sciences
« Le Ministre veut faire quelque chose » m’assura M. Pellenc, alors Directeur du Service de la Radiodiffusion aux P.T.T., à qui j’exposais que les travaux des laboratoires devaient être complétés par des essais sur le plan pratique.
C’était en 1931, la B.B.C. avait commencé à Londres des émissions régulières de télévision à 30 lignes et je demandais qu’on en fasse autant. C’était relativement facile : nous avions le matériel « vidéo-fréquence », il suffisait de préparer la modulation de l’émetteur de la station dite de l’Ecole Supérieure des P.T.T. lequel, nous l’avions vérifié, avait la bande suffisante et, surtout, passait à peu près correctement les termes basse-fréquence.
Nous pouvions par ailleurs, prêter l’émetteur de 300 watts de Montrouge pour l’accompagnement sonore ; en somme, rien à dépenser, mais de simples difficultés administratives à résoudre.
Celles-ci devaient être assez ardues, car un an après seulement, et avec la « bonne volonté » de chacun, un essai effectué avec une installation improvisée rue de Grenelle, moitié dans la salle haute-tension, moitié dans le couloir, montrait la qualité de la modulation.
L’Administration décida de préparer un local voisin de l’émetteur, au 93 rue de Grenelle, pour y loger l’analyseur. C’était au 3ème étage d’un immeuble qui devait être démoli. On y avait installé provisoirement quelques bureaux d’Ingénieurs des P.T.T. et c’est deux pièces de 3 m X
3 m, contiguës à ces bureaux, qui furent mises à notre disposition. Les maçons, les électriciens, les peintres y passèrent quelques mois. Ensuite, notre tambour à miroir et presque aussitôt, notre première caméra opérant en lumière diffuse, fournirent les images à 1.000 points…
Une ligne permanente nous reliait à l’émetteur du 103 rue de Grenelle dont nous attaquions l’étage de puissance avec un amplificateur de 50 watts, possédant les « pré-connexions » nécessaires.
Une autre ligne nous connectait à l’émetteur « son » de Montrouge. Entre temps, par une chance inespérée, la C.P.D.E. unifiait à 50 périodes la fréquence de ses divers secteurs alternatifs de la région parisienne et simplifiait ainsi considérablement le problème de la synchronisation de nos divers récepteurs.
Un jour tout fonctionna… Une heure nous fut accordée chaque jeudi, de 3 heures à 4 heures « pour procéder aux émissions expérimentales ». C’est alors que nous eûmes la visite d’un Ministre qui n’était plus évidemment celui du début et dont je m’excuse d’avoir oublié le nom ; il examina l’image sur le récepteur placé dans une anfractuosité du grand studio de 3 m, et nous déclara : « Vous voyez, nous avons bien fait les choses, maintenant vous pouvez travailler. » Un peu surpris, mais très encouragés par ces bienveillantes paroles, nous nous mîmes à l’œuvre, c’est-à-dire que nous recrutâmes chaque semaine les artistes bénévoles ; un facteur de pianos, voulut bien nous prêter son instrument, mon préparateur M. Lamblot, et moi-même, assurâmes les « services techniques ».
C’est ainsi que, pendant près de deux ans, nous avons eu une émission française de télévision.
Ce n’était pas certes, le cinéma à domicile, et la petite image rosée vue à travers une grosse lentille, semblait avoir les dimensions d’une demie-carte postale. Mais les artistes, toujours télévisés en buste, car il n’y avait pas de recul, étaient reconnaissables, et les jeux de physionomie fidèlement rendus.
La grande attraction résidait surtout dans cette « vision à distance» et nombre d’amateurs établirent des récepteurs certainement plus simples que ceux de 1947 ; c’étaient le plus souvent un vieux poste de T.S.F. peu sélectif. On vit apparaître dans la publicité le récepteur radio avec « prise de télévision » ; à cette époque cet argument de vente pouvait être honnête.
Le moteur synchrone, le disque à 30 trous et la lampe au néon formaient la partie spécifiquement télévision.
Nous aurions un excellent sujet technique à peine défloré, en abordant la description des moteurs synchrones à hystérésis, dont la phase était réglable de zéro à 2 sans déplacement mécanique des pôles.
Mais aujourd’hui, nous en resterons aux anecdotes qui marquèrent ce démarrage timide bien qu’obstiné. Au laboratoire nous étions passé de 60 lignes et même 180 pour le télécinéma avec réception sur tube cathodique. Nous ne pouvions utiliser ces perfectionnements sur la bande des 430 mètres.
Mais par contre, avec ces longueurs d’ondes moyennes, la portée était considérable par rapport à nos ondes métriques actuelles. En période d’hiver, malgré l’heure diurne de l’émission, on nous signalait des réceptions au Mans, à Bruxelles, à Clermont-Ferrand, et même à Sorgues (Vaucluse). Il est vrai qu’on recevait aussi la Télévision Baird de Londres, jusqu’en Espagne.
Ces essais nous montrèrent les inconvénients des ondes réfléchies par les couches à l’ionosphère, créant des images multiples et variables ; ils permirent ainsi de créer une première expérience de studio et de nous rendre compte de la nécessité de prévoir des scènes courtes et, si possible, mobiles.
Comme la place était réellement très mesurée, nous descendîmes un jour la caméra dans le beau jardin voisin, appartenant au Ministère du Commerce. Avec la lumière de juin, ce fut un succès et, au lieu de remonter nos trois étages, nous laissâmes notre appareil dans un coin de la salle du grand orchestre de la station des P.T.T., pour reprendre notre expérience le jeudi suivant.
Ce jour-là, il pleuvait. Nous installâmes deux projecteurs dans ce studio alors inutilisé l’après-midi. Avec un recul de 10 mètres, nous vîmes qu’il était possible de transmettre des silhouettes de danseurs, des éléments de pièces de théâtre ; et préparâmes un grand programme pour les séances ultérieures. Mais ce beau projet fut volatilisé, car dans la semaine, nous fûmes proprement expulsés par le Directeur de la Station qui nous pria de regagner immédiatement notre troisième que « nous n’aurions jamais dû quitter »
J’ai su, après que cette cruelle mesure avait été prise à la suite d’une réclamation du chef d’orchestre, qui avait découvert que nos deux lampes d’éclairage et notre petite caméra, cependant bien rangées et bâchées dans le fond de la salle « produisaient des bruits parasites intolérables au cours des émissions musicales »…
Très penauds, nous recommençâmes dans notre « appartement » nos séances d’accordéon, entrecoupées de chants et de poésies, que Mlle Rouver parfois nous dispensait…
Puis les vacances arrivèrent, nos charitables artistes disparurent peu à peu, et un jour, je restai seul. M. Lamblot ayant été empêché au dernier moment. Sans enthousiasme, j’assurai la liaison microphonique avec l’émetteur F8VU de Montrouge, annonçant : « Ici, Station de Télévision des P.T.T., nous commencerons notre émission dans quelques minutes. »
Puis, je réglai la caméra sur un tableau noir, vérifiant la mise au point avec le récepteur local vidéo-fréquence. A la station émettrice, après avoir mis en route nos amplificateurs, j’appliquai la modulation à la haute fréquence. Un avis de Montrouge m’indiqua que la qualité était normale. Le tableau « passait bien ».
Je remontai donc au studio, avec une heure d’émission à assurer… Ce fut terriblement long et je ne sais si beaucoup de fervents m’ont suivi cette fois-là… J’avais cependant choisi un beau thème « L’enseignement par télévision », j’utilisai au maximum mon seul accessoire, le tableau… Après le théorème de géométrie, la leçon d’algèbre, la physique avec loi de Laplace, un schéma, je terminai ce qui est un comble, pour mes aptitudes en cette matière, par la leçon de dessin…
Tels furent nos premiers pas dans l’exploitation… Etait-ce un effort inutile ? Je ne le crois pas, car l’année suivante, M. Georges Mandel arrivait et en six moi…
Mais ceci est un autre souvenir…
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