Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Merci de m’inviter à m’exprimer pour cette audition dont l’objet, au terme de la loi de 1986, est de vous présenter le rapport d’activité 2024 de l’Arcom, une période antérieure à ma prise de fonctions. Mais ce sera évidemment l’occasion d’évoquer notre actualité et nos perspectives, ce que je vous propose de faire en deux temps : un temps consacré aux missions historiques de l’Arcom, en centrant le propos sur la gestion du spectre hertzien (TNT et radio), le soutien à la création et le pluralisme. Et un second temps consacré à la régulation du numérique, l’année 2024 ayant été marquée par l’entrée en vigueur de textes majeurs. Je finirai par quelques remarques sur des questions qui occupent l’actualité.
Avant toute chose, je voudrais rendre hommage aux membres du collège que j’ai l’honneur de présider (on ne soulignera jamais assez la collégialité de nos décisions) et aux agents de l’Arcom, dont je salue le dévouement à leur mission.
I/ Quelques mots d’abord sur la plateforme TNT qui a connu, en 2024, d’importantes évolutions avec le lancement d’un appel aux candidatures d’une ampleur inédite, pour 15 chaînes, dont 10 gratuites.
Au terme de cette procédure, l’Arcom a autorisé, le 11 décembre 2024, deux nouvelles chaînes - T18 et Novo 19 - et n’a pas renouvelé deux autorisations - celles de C8 et de NRJ12. Sans revenir en détail sur cette décision, antérieure à ma prise de fonctions, il me parait néanmoins important de rappeler, au regard des interrogations, voire de l’incompréhension, qu’elle a pu susciter, que cette décision a rigoureusement suivi la procédure prévue par la loi. Il y avait plus de candidats que de places disponibles et, pour les départager, le collège s’est fondé sur une appréciation des mérites respectifs des projets, l’expérience acquise par les sortants, mais aussi leurs manquements et sanctions, et l’intérêt des nouveaux projets.
Ces mouvements sur la TNT gratuite, couplés à la décision du Groupe Canal + de se retirer de la TNT payante, ont conduit l’Arcom à adopter une nouvelle numérotation déployée le 6 juin, avec plusieurs objectifs dictés par l’intérêt du public : assurer la continuité de la numérotation, adapter les numéros aux canaux, créer un bloc de chaînes infos. Un bloc qui a fait la preuve de sa pertinence (avec des audiences en progression pour les 4 chaînes), tout comme l’avancement de France 4 et de LCP-Public Sénat, selon les données aujourd’hui disponibles.
L’année 2024 a plus largement été marquée par la poursuite d’une dynamique économique positive pour les médias audiovisuels et le soutien qu’ils apportent, sous le contrôle de l’Arcom, à la création audiovisuelle.
Les obligations de financement de la production audiovisuelle sont passées de 860 M € en 2019 à 1,2 Mds € en 2023 (soit + 40 %), ce grâce à la hausse de la contribution des chaînes privées, à l’engagement accru de FTV (440 millions) et à l’intégration réussie, accompagnée par l’Arcom, des Netflix, Disney+ et autres Amazon (1/4 des obligations de production audiovisuelle, aujourd’hui). Les chiffres 2024, qui ne sont pas encore définitifs, confirmeront cette tendance positive, qui montre tout l’intérêt et le succès de la directive SMA.
Mais ce cycle positif s’est déjà retourné, avec un recul des recettes publicitaires des diffuseurs TV de 5 % au premier semestre, lié à une durée d’écoute en net repli, un ralentissement de la dynamique des SMAD en France et la diminution sensible en 2025 de la subvention versée à France Télévisions, une tendance qui semble vouée à s’accentuer en 2026.
Les contraintes budgétaires du pays sont là, incontestables, incontournables, mais je pense aussi être dans mon rôle en alertant sur les conséquences de ces coupes, si elles sont trop soudaines, sur un écosystème de la production qui a besoin de visibilité. Au-delà de la création audiovisuelle, c’est l’ensemble de l’économie de la télévision qui est en passe d’être fragilisé. Nous y reviendrons sans doute.
L’autre grand média hertzien, la radio, voit quant à elle sa diffusion traditionnelle (linéaire et analogique) de plus en plus contestée par l’écoute sur smartphone, ce qui nécessite de la faire évoluer. Un des leviers de cette évolution est le déploiement du DAB+, avec comme objectif d’augmenter l’offre dans un contexte de saturation de la bande FM, de préserver l’universalité et la souveraineté de la diffusion (sans intermédiaires), tout en améliorant la qualité de l’écoute.
Le Livre blanc de la radio, publié en juin par l’Arcom, a permis d’amorcer une vraie dynamique. Mais les progrès en termes de notoriété et d’équipement en DAB+ demeurent trop lents, et nous avons décidé d’en améliorer le pilotage, lors des assises de la radio le 5 juin 2025, avec la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et « Ensemble pour le DAB+ ». D’autres chantiers, relatifs à l’assouplissement des mentions légales ou les conditions d’exposition de la musique, sont également engagés.
Dernier élément notable concernant les missions historiques de l’Arcom que je souhaitais aborder : le pluralisme de l’information, avec la décision du 13 février 2024 du Conseil d’Etat, qui impose à l’Arcom d’étendre son contrôle, jusque-là limité à l’équilibre des temps de parole des personnalités politiques, aux opinions exprimées par l’ensemble des intervenants, chroniqueurs ou invités.
En application de cette décision, l’Arcom a adopté, en juillet 2024, une délibération pour préciser ce nouveau contrôle qui vise désormais à s’assurer de l’absence de déséquilibre manifeste et durable dans l’expression de ces courants de pensée et d’opinion, mesurée par la diversité des intervenants, la variété des thèmes traités et de la pluralité des points de vue.
Dès ma prise de fonction, j’ai souhaité que les modalités de mise en œuvre de cette délibération (qui a suscité beaucoup d’interrogations) soient évaluées. Les éditeurs ont été consultés au premier semestre 2025 et il en ressort que la majorité d’entre eux sont à peu près en mesure d’assurer un suivi des thèmes traités et des invités (à l’exclusion de tout fichage). En revanche, ils ont fait part de difficultés pour mesurer la diversité des points de vue et opinions exprimés à l’antenne. C’est donc un domaine nouveau dans lequel nos modalités et critères de contrôle devront s’affiner au gré des saisines dont nous ferons l’objet.
II/ J’en viens au second temps de ce propos, la régulation numérique, avec des évolutions majeures pour les compétences de l’Arcom.
À commencer bien sûr par la désignation de l’Arcom (dans la loi SREN) comme coordinateur du règlement européen sur les services numériques en France (RSN). Règlement qui est lui-même entre en vigueur en 2024, je le souligne car c’est très récent.
La mission de l’Arcom, à ce titre, consiste à s’assurer du respect, par les plateformes installées en France, de leurs obligations de moyens en matière notamment de modération et de paramétrage de leur signalement. L’Arcom contribue surtout à la régulation des très grandes plateformes par la Commission européenne et elle a vocation à coopérer avec ses homologues européens lorsque des contenus problématiques sont hébergés sur des plateformes établies dans un autre État membre. C’est d’ailleurs pour une part ce qui a été mis en défaut dans le cas de la plateforme Kick (et du décès en direct de Raphaël Graven, sur lequel je voudrais revenir comme vous m’y invitez).
J’ai entendu beaucoup de critiques sur le fait que l’Arcom avait laissé ce programme être diffusé malgré son caractère choquant. L’émotion suscitée est compréhensible et légitime, mais ce reproche est sans doute lié à une incompréhension de ce que sont nos missions dans le domaine du numérique, très différentes de ce qu’elles sont pour la régulation audiovisuelle (où nous intervenons sur les contenus diffusés par des TV et radio – qui ont une responsabilité éditoriale).
Ni le RSN ni la loi n’ont donné de compétence à l’Arcom pour apprécier la légalité des contenus qui circulent sur les plateformes en ligne, ni pour en demander le retrait. Cela, relève de la Justice, Justice qui s’était, en l’espèce, saisie dès décembre 2024 : le parquet de Nice avait ouvert une enquête, placé deux protagonistes en garde à vue et entendu Raphaël Graven ; et n’a pas donné suite.
Pour autant, il est clair que nous avons collectivement manqué de réactivité et de vigilance, puisque nous n’avons eu aucun nouveau signalement entre février et août et que le même délai a été nécessaire pour obtenir de Kick une représentation légale dans l’Union européenne (Malte). Nous allons donc renforcer nos mécanismes de coopération, entre administrations et acteurs français - nous avons commencé à le faire en réactivant l’Observatoire de la haine en ligne - comme au niveau européen, où nous avons évoqué cette affaire au comité du DSA (« DSA Board ») la semaine dernière. Et je souhaite aussi que nous puissions y consacrer plus de moyens.
Toujours au titre du RSN, nous avons désigné de nombreux « signaleurs de confiance », ces acteurs, le plus souvent associatifs, qui ont vocation à signaler aux plateformes des contenus dont le caractère illicite ne fait aucun doute (qu’il s’agisse d’arnaques en ligne, de contrefaçon ou de messages haineux). Et qui bénéficient d’une priorité de traitement, et donc de retrait.
Un premier signaleur (l’association e-Enfance), spécialisé dans la protection de l’enfance, a été désigné en novembre 2024 et le mouvement s’est accéléré avec la désignation de 7 nouveaux signaleurs dans des domaines aussi divers que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la défense des consommateurs, la lutte contre le piratage, les cyberviolences ou la prévention des addictions. L’action de ces signaleurs (de même que l’accès des chercheurs aux données de consommation des plateformes pour mieux en évaluer les risques) doit permettre à la régulation prévue par le RSN de se démultiplier.
La loi SREN, toujours elle, a également doté l’Arcom de nouvelles compétences dans deux champs particulièrement emblématiques.
D’abord, la possibilité pour l’Arcom de faire cesser, après mise en demeure, la diffusion de médias russes faisant l’objet de sanctions directes ou indirectes. Possibilité qui nous a permis, en 2025, d’obtenir l’arrêt de la diffusion de deux chaînes par Eutelsat, et le déréférencement ou le blocage de 19 sites officiels de médias russes. C’est un travail qui va continuer, comme le législateur nous y a invité.
2ème champ : l’interdiction effective de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Conformément à la loi, l’Arcom a publié à l’automne 2024, après avis de la CNIL, un référentiel définissant les exigences applicables aux systèmes de vérification de l’âge (efficacité et protection de la vie privée). Et au cours des derniers mois, dès que les textes réglementaires requis ont été publiés par le gouvernement (et les nombreux contentieux écartés), nous avons enjoint à la douzaine de sites disposant de l’audience la plus importante en France de se conformer à la loi, sous la menace d’un blocage ou d’un déréférencement.
Cette démarche a produit des résultats puisque tous les sites visés ont soit été bloqués (pour l’un d’entre eux), soit ont décidé de fermer leur service en France (Aylo), soit de se mettre en conformité. Nous sommes bien sûr loin d’avoir tout réglé : il reste tous les sites de moindre audience (qui feront très prochainement l’objet d’une prochaine vague de contrôles) et bien sûr des moyens de contournement (VPN). Mais on voit que la volonté du législateur et l’action du régulateur ont permis de changer la donne. Il n’y a donc pas de fatalité à l’accès libre à des contenus dangereux en ligne, notamment pour les enfants.
Je m’arrête là concernant ce bilan déjà fourni, car je voudrais garder quelques minutes pour évoquer quelques chantiers prioritaires pour l’Arcom en cette rentrée.
Le premier, c’est celui de la protection des mineurs en ligne. Jeudi dernier, l’Arcom a présenté une étude très complète qui met en évidence la fréquence et la précocité croissante avec laquelle les enfants et adolescents sont exposés à de multiples risques sur internet.
Nous en tirons deux principales priorités pour les prochains mois :
1/ d’abord, garantir la stricte application de l’âge minimum de 13 ans prévu par les CGU des plateformes pour l’accès à leurs services, en attendant l’issue des débats sur la majorité numérique ;
2/ ensuite, s’assurer que les plateformes ne proposent aux mineurs que des services expurgés de tout ce qui est susceptible de les mettre en danger (l’incitation aux comportements à risques ou aux troubles du comportement alimentaire, les contenus choquants, les fonctionnalités addictives comme le « scrolling » infini, les interactions avec des adultes potentiellement malveillants).
Nous auditionnerons les plateformes à partir de cet automne pour vérifier leur progrès, et le cas échéant, désigner les bons ou mauvais élèves. Ce qui est sûr, c’est que le statu quo n’est plus possible.
Deuxième chantier : celui de l’évolution de la TNT à court comme à long termes. Au vu de l’état du marché publicitaire, le collège a décidé de ne pas réaffecter pendant deux ans les fréquences libérées par le départ du Groupe Canal + de la TNT (court terme).
Pour le long terme, nous avons décidé d’engager une réflexion sur l’avenir de ce mode de diffusion, hier prépondérant, encore indispensable aujourd’hui pour de nombreux foyers (surtout les plus isolés) mais déclinant, dans un monde d’hyper offre numérique et largement délinéarisée : quelle modernisation ? quels objectifs ? quels outils de régulation associés, pour préserver la visibilité et le financement d’une offre ambitieuse. C’est sous la forme d’un livre blanc (à l’image du travail que nous avons mené sur les radios) que nous voudrions aborder ces enjeux prospectifs, pour les prochaines années.
Troisième priorité : le service public de l’audiovisuel, un service public dont nous avons, en tant que régulateur, pour mission de protéger l’indépendance et de veiller à ce qu’il soit en mesure d’assurer ses missions essentielles à la démocratie (information nationale, locale et internationale, diversité culturelle, présence territoriale et ultramarine).
Quelques jours après la diffusion d’extraits vidéo qui ont donné lieu à de vifs débats, et à la suite de saisines, le collège de l’Arcom a auditionné le 17 septembre les présidentes de France Télévisions et de Radio France, pour recueillir leurs observations sur cette séquence, mais aussi et surtout pour faire le point sur les questionnements plus larges auxquels elle a donné lieu.
Dans un contexte de défiance à l’égard des médias et des institutions (qui n’est pas propre à la France), nous avons donc jugé souhaitable de poursuivre et d’approfondir les travaux auxquels le rapport des Etats généraux de l’information (EGI) nous incitait déjà, il y a un an.
Ces travaux viseront pour l’essentiel :
1/ à objectiver la notion d’impartialité qui n’est explicitée par aucun texte (à la différence de la notion d’indépendance), et dont la portée concrète mérite d’être précisée ;
2/ à mesurer la perception et les attentes du public concernant le service public ; 3/ et enfin, à évaluer les outils qui existent au sein des sociétés audiovisuelles publiques, pour, le cas échéant, les compléter au regard d’expériences menées en Europe. Car nous sommes loin d’être le seul pays à être confronté à cette question.
Je ne peux achever ce propos introductif sans mentionner le projet de loi relatif aux Etats généraux de l’information (EGI) dont vous serez sans doute prochainement saisis, qui apportera des inflexions importantes en matière notamment de modernisation du contrôle des concentrations pluri-médias. Cette modernisation du pluralisme externe pourrait d’ailleurs être pour le législateur l’occasion de s’interroger sur la portée du pluralisme interne (qui soulève, on l’a vu, de nombreuses questions) même si, à ce stade, l’avant-projet de loi n’en traite pas. C’est en tout cas au cœur de la légitimité du législateur.
Je m’en voudrais, enfin, de finir ce propos sans mentionner deux dimensions importantes de notre action que sont la lutte contre le piratage - en réitérant notre impatience de voir les dispositions de votre autre proposition de loi (sport) entrer en vigueur -, ou l’accessibilité aux personnes en situation de handicap des sites internet publics où, par un dialogue volontariste avec les administrations et collectivités, nous commençons à obtenir des résultats positifs.
Voilà, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, les principaux enjeux sur lesquels vous trouverez en l’Arcom un régulateur déterminé et toujours à votre écoute ; je vous remercie de votre attention et me tiens désormais à votre disposition pour répondre à vos questions.
Allocution de Martin Ajdari PDF 190.48 Ko en français
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