Seul le prononcé fait foi,
Madame la présidente, chère Sophie Révil,
Mesdames et messieurs les présidents, directeurs généraux, secrétaires généraux,
Chers amis de la création et de la fiction, chère Marjorie
Merci beaucoup, chère Sophie, de m’avoir invité à clore ce débat sous un format un peu nouveau, avec une introduction plus courte, suivie de quelques questions.
Je voudrais commencer par saluer la vitalité de la fiction française, que l’étude annuelle de l’Arcom présentée hier par Antoine Boilley a confirmée. Succès en termes d’audience (avec 57% de la conso de programmes en 2024 contre 43% 2019 et un top 10 des meilleures audiences 100 % français) – succès en prime time et hors prime time (10 millions de téléspectateurs quotidiens pour les feuilletons) ; en linéaire et en non linéaire ; succès aussi à l’export, avec une qualité saluée par de nombreux prix. Une vitalité de la fiction qui n’est pas seulement française, mais francophone.
De nombreux motifs de satisfaction donc, dont vous pouvez tous être fiers. Et aussi quelques points d’attention, en particulier une tendance au vieillissement de l’audience, ainsi qu’une place de la fiction française dans les audiences des SMAD qui disons, a quelques marges de progression.
Et puis surtout, il y a la réalité économique, qui conditionne son dynamisme : à travers les trois piliers que sont la publicité, les abonnements et l’audiovisuel public. Car avant de circuler, une œuvre doit être écrite, réalisée, produite, et donc financée.
Nous sortons d’un cycle globalement très dynamique, puisque les obligations de production sont passées de 860 millions en 2019, à près d’1,2 milliards en 2023 (+40%). Une dynamique que l’on doit à la hausse de la contribution des chaînes privées, à l’engagement accru de l’audiovisuel public (440 millions en 2024 pour France Télévisions, sans oublier Arte) et à l’intégration réussie des SMAD qui représentent aujourd’hui 1/4 des obligations de production audiovisuelle.
Les chiffres définitifs pour 2024 ne sont pas encore connus en détail, mais ils confirmeront cette tendance positive, avec une contribution des télévisions à peu près stable et une hausse de 18% des investissements des SMAD (près de 400 millions en 2024 dont 317 millions pour la production audiovisuelle).
Cela conduirait à une hausse de 3% du total des obligations (fiction + ciné) en 2024, une hausse qui devrait d’ailleurs se poursuivre en 2025, puisque 2024 a été une année très correcte pour la publicité comme pour le financement public, et des recettes d’abonnement aux SMAD en hausse sensible.
Malheureusement, ce cycle positif, cet enchaînement vertueux entre qualité, succès d’audience et financement en hausse est en train de se retourner :
- au 1er semestre 2025, le marché publicitaire de la télévision accuse un repli de près de 5% malgré le succès des offres délinéarisées ;
- la subvention versée à France Télévisions a connu en 2025 une diminution sensible qui menace de s’accentuer (contraintes FIPU, de fait ; mais aussi le rôle du régulateur que d’alerter sur des coupes budgétaires trop brutales par leur intensité et leur soudaineté) ;
- et même la dynamique de progression des SMAD semble ralentir en France.
Sans vouloir dresser un tableau trop sombre, rien ne permet aujourd’hui de penser ou d’espérer qu’il s’agisse d’un simple trou d’air conjoncturel, ni les perspectives publicitaires à moyen/long terme dressées par l’Arcom et la DGMIC il y a un an (à ce stade confirmées), ni la situation des finances publiques. Le tout dans un contexte marqué par la concurrence – puissante et asymétrique – des plateformes de partage de vidéos.
Ces perspectives ne sont pas une fatalité, à condition de réagir collectivement. La réponse réside d’abord, bien sûr, dans l’imagination et le talent des créateurs et des producteurs. Et puis, il y a les stratégies industrielles, éditoriales et commerciales des éditeurs : i/ le succès remarquable des offres délinéarisées des éditeurs TV ; ii/ aujourd’hui, ce nouveau type d’accords de distribution signés par TF1 et France Télévisions avec Netflix et Prime Vidéo qui soulèvent, on l’a vu, de nombreuses questions.
Pour le régulateur, il est bien sûr trop tôt pour tirer les enseignements de ces accords, mais tout ce qui facilite la circulation des œuvres va dans le bon sens surtout si cela permet de maintenir voire d’augmenter l’assiette des obligations de production. A condition toutefois, que ces accords ne se traduisent pas in fine par l’effacement des éditeurs ni leurs marques (elles sont au cœur de la régulation et de l’ambition audiovisuelle) et qu’ils préservent la possibilité d’accords de cofinancement vertueux.
Mais surtout, plus que jamais, face à cette adversité économique, il faut que les pouvoirs publics répondent à vos efforts de structuration en filière (création de LAFA) par une véritable politique industrielle, associant le CNC et ses différents outils de soutien, l’intermittence, l’audiovisuel public (dont l’affaiblissement peut affecter toute la filière), le cadre réglementaire et la régulation.
Pour la régulation, je vois trois enjeux principaux :
1/ Le premier, c’est de donner de la visibilité en clarifiant l’horizon à court et moyen termes dans lequel la diffusion TNT s’inscrit, car c’est encore la diffusion hertzienne qui structure le paysage audiovisuel, le nombre et la visibilité des chaînes. C’est le sens des décisions que nous avons rendues publiques ce matin :
- celle, à court terme, de ne pas réaffecter les fréquences libérées par le retrait de Canal+ de la TNT, car le marché ne nous semble pas aujourd’hui en capacité d’absorber de nouvelles chaînes ;
- celle, à plus long terme, d’engager une réflexion collective -sur le mode du livre blanc de la radio- sur l’avenir de ce mode de diffusion, hier prépondérant, aujourd’hui encore indispensable pour de nombreux foyers mais déclinant, dans un monde d’hyper offre entièrement numérique et très largement délinéarisée : quelle modernisation, quels objectifs, quels outils de régulation associés, pour préserver la visibilité et le financement d’une offre ambitieuse. Ce sont un peu les fondements de notre modèle que nous souhaitons revisiter, avec toutes les parties prenantes…avec en point de mire les échéances de 2027.
2/ Le deuxième enjeu est connexe et porte sur les asymétries de toutes sortes que subissent les éditeurs audiovisuels face à leurs concurrents directs. Des asymétries qui appellent des réponses :
- au niveau européen, en complétant la révision de 2019 de la directive SMA pour unifier les règles entre les éditeurs historiques, les SMAD et les plateformes de partage de vidéos (c’est dès à présent au cœur de nos échanges avec nos homologues),
- et au niveau national, en réexaminant la réglementation publicitaire (les interdictions et limitations du décret de 1992, certains aspects de la loi Sapin) pas par souci dogmatique de libéralisation, mais parce que ces textes (et leur inspiration) ont 30 ans.
- Un principe simple : une contrainte légitime (déontologique, environnementale, de santé publique, de protection des consommateurs) si elle s’applique aux uns (i.e. : aux télévisions), doit s’appliquer à tous. En clair : une restriction comme en connaît la télévision, ne peut pas ne s’appliquer qu’à elle, au risque de donner de fait un avantage concurrentiel aux autres acteurs (et doit donc être levée).
- Idem pour la transparence de la mesure d’audience ou la fiscalité. Nous sommes à l’écoute de vos propositions, pour les instruire (avec DGMIC), interpeller les pouvoirs publics, européens et nationaux.
3/ le troisième enjeu (pour le régulateur), plus que jamais d’actualité dans ce contexte mouvant, consiste à faciliter et accompagner les accords interprofessionnels - par exemple ceux conclus par Disney, qui porte les engagements de financement de la création à 25 % du chiffre d’affaires, des accords que nous sommes parvenus à concilier avec un cadre réglementaire qui ne s’y prêtait pas aisément). Accompagner aussi les mouvements capitalistiques qui peuvent s’imposer dans un environnement plus adverse, et dans l’intérêt des acteurs (cf. agrément Chérie HD en trois mois). Avec ouverture, disponibilité, et vigilance quant aux effets sur la diversité culturelle et le pluralisme.
Cette ouverture, cette disponibilité et cette vigilance seront au cœur de notre action dans les mois à venir.
Je vous remercie pour votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
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