JORF n°0195 du 9 août 2020
texte n° 81
Avis n° 2020-03 du 13 mai 2020 relatif au projet de décret portant modification du régime de diffusion des œuvres cinématographiques sur les services de télévision et du régime de publicité télévisée
Envoyé par Le CSALe Conseil supérieur de l'audiovisuel, (...) émet l'avis suivant, qui porte sur les chapitre II et III du projet de décret soumis à sa consultation, relatif au régime de publicité télévisée, sans préjudice des observations qu'il a formulées précédemment sur le chapitre Ier du même projet de texte :
A titre liminaire, le Conseil supérieur de l'audiovisuel souligne l'importance qui s'attache à assurer un haut niveau de financement du secteur audiovisuel. Cet objectif sert non seulement la santé économique des éditeurs de services de télévision, mais aussi le dynamisme et le rayonnement de la création audiovisuelle et cinématographique nationale.
Les revenus publicitaires du média télévisuel ont sensiblement diminué entre 2011 et 2019 (- 9,71 %), année où ils se sont élevés à 3,42 milliards d'euros nets. Sur la même période, la part de la télévision dans le total des revenus publicitaires des médias a également baissé (- 2 %) (1).
Cette tendance négative s'inscrit pourtant dans un contexte de croissance du marché publicitaire tirée par la publicité sur Internet (+ 13% sur la période 2015-2019). Or, même si les recettes publicitaires des supports numériques des médias traditionnels (télévision, radio et presse) représentent désormais 7 % du total de leurs revenus, à hauteur de 432 millions d'euros pour l'année 2019 (2), l'essentiel de la valeur créée par la publicité sur Internet est captée par des acteurs du numérique extra-européens.
Au regard de ces évolutions, la modernisation de la réglementation publicitaire est indispensable afin de revaloriser le marché télévisé et de corriger certaines asymétries concurrentielles dont il pâtit en comparaison du marché de la publicité sur internet.
Cette exigence est rendue d'autant plus impérieuse que l'impact de la crise consécutive à la pandémie du covid-19 sur les ressources publicitaires des groupes audiovisuels est considérable. Une évolution significative du cadre réglementaire est à ce titre une condition essentielle du rebond du secteur audiovisuel et, par voie de conséquence, de la filière de la création.
Pour l'ensemble de ces raisons, le CSA approuve l'orientation générale du projet de décret, tout en formulant plusieurs propositions.
Concernant la publicité segmentée
Le CSA approuve la levée du principe d'interdiction de la publicité segmentée. Par un meilleur ciblage des messages publicitaires, à l'instar de la publicité sur internet, cette technique est en effet susceptible d'injecter des ressources nouvelles, significatives, dans le secteur audiovisuel.
Le Conseil souhaite toutefois attirer l'attention du Gouvernement sur les éléments suivants.
Il recommande tout d'abord une clarification du cadre juridique applicable au traitement de données à caractère personnel. Elle est indispensable afin de sécuriser les conditions de mise en œuvre de la publicité segmentée et d'en tirer le parti attendu, dans le respect des droits des personnes. De manière plus générale, comme il l'avait souligné dans son avis sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, le Conseil plaide également pour la mise en place d'un cadre juridique applicable à l'économie du partage des données.
Ensuite, le CSA relève que la levée de l'interdiction de la publicité segmentée s'accompagne de plusieurs limitations visant à en atténuer les répercussions potentielles d'une part, sur l'ensemble du marché publicitaire et d'autre part, sur le jeune public.
La première consiste à interdire l'insertion par l'annonceur dans ses messages publicitaires de l'indication d'une adresse ou d'une identification locale explicite. Cette restriction pourrait avoir pour conséquence de limiter de manière significative l'impact potentiel des messages ciblés sur les téléspectateurs et donc les recettes que les éditeurs pourraient en tirer. Sa levée ne pourrait toutefois être envisagée qu'à l'issue d'une concertation prenant en compte les intérêts des médias tirant aujourd'hui des ressources de la publicité locale, en particulier les radios locales. Elle devrait en outre faire l'objet d'une évaluation détaillée dans le rapport prévu par le projet de décret à l'issue de la phase d'expérimentation.
En tout état de cause, le CSA estime nécessaire de clarifier la rédaction du texte afin que l'ensemble des services de télévision locale, quelle que soit la nature de leur programmation, puissent recourir à cette identification locale.
La seconde mesure d'encadrement consiste à limiter significativement les temps maximaux consacrés à la diffusion de messages publicitaires ciblés. Il apparaît au CSA que le décret devrait laisser plus de latitude aux éditeurs sur ce point.
La troisième restriction porte sur l'interdiction de substitution des publicités autour des programmes pour enfants, à laquelle le CSA souscrit pleinement.
Par ailleurs, le CSA suggère que le délai à l'issue duquel doit être publié le rapport évaluant l'impact de la levée de l'interdiction de la publicité segmentée soit porté de dix-huit à vingt-quatre mois, afin de tenir compte des impératifs techniques, financiers et commerciaux liés à la mise en œuvre effective de la réforme par l'ensemble de la filière. Le Conseil sera particulièrement attentif aux enseignements qui seront tirés de ce rapport, notamment s'il concluait à un impact fort de l'ouverture de la publicité segmentée sur les médias de proximité, en particulier les radios et la presse écrite.
En outre, le CSA tient à assurer un contrôle plein et effectif des dispositions prévues par le projet de décret, afin de contribuer à garantir l'équilibre du marché publicitaire et d'assurer la protection des téléspectateurs. Toutefois, il ne sera pas en mesure de procéder à un contrôle exhaustif des messages concernés. La vérification du respect des volumes horaires ne pourra être fondée que sur un système déclaratif.
Afin de faciliter l'exercice de sa mission de contrôle, le CSA souhaite que le décret prévoie l'obligation pour l'éditeur d'identifier les messages relevant de la publicité segmentée, par exemple à l'aide d'un symbole ou d'une mention. Pour les mêmes raisons, il souhaite que les éditeurs aient l'obligation de conserver les conducteurs et images en lien avec ces publicités, pendant une période nécessaire à l'exercice de ce contrôle et qui ne saurait excéder deux ans, comme de fournir à la demande du régulateur les données de volumes de diffusion, par exemple.
La bonne mise en œuvre de la publicité segmentée reposera en tout état de cause sur la responsabilisation des éditeurs, qui devront faire preuve d'une vigilance accrue afin que l'ensemble des messages demeurent conformes aux dispositions de la loi et du décret.
Enfin, le CSA souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur deux points complémentaires. Le premier concerne l'articulation de la publicité segmentée avec l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 qui prévoit que, s'ils sont diffusés sur un réseau n'utilisant pas de fréquences assignées par le CSA, les services autorisés doivent être conventionnés dans la mesure où leur programmation ne correspond pas à une « reprise intégrale et simultanée » de la diffusion hertzienne. Le second concerne les publicités substituées par le biais de la technologie HbbTV. Le Conseil considère que les dispositions du décret du 27 mars 1992 leur sont applicables, dès lors que cette substitution s'opère sur le service de télévision.
Concernant la publicité pour le cinéma
La publicité en faveur du cinéma représente une opportunité nouvelle pour le marché publicitaire télévisé comme pour la promotion des films. Elle contribuera à raviver l'envie des spectateurs de reprendre le chemin des salles de cinéma, une fois levées les mesures de fermeture justifiées par la pandémie du covid-19. Elle est par ailleurs de nature à équilibrer la situation concurrentielle entre les médias audiovisuels historiques, qui sont interdits de publicité y compris pour les films qu'ils financent, et les plateformes de vidéo par abonnement, qui ont recours à la publicité sur ces mêmes médias. Aussi le CSA approuve-t-il pleinement le principe de l'expérimentation de la levée de l'interdiction de ce type de messages publicitaires.
Le CSA partage également l'objectif visant à favoriser l'accès de la diversité de la production cinématographique, et notamment de la création européenne et d'expression originale française, à ces écrans publicitaires.
Toutefois, les modalités retenues par le Gouvernement pour atteindre cet objectif soulèvent des difficultés certaines. Le projet de texte prévoit en effet un mécanisme de quota selon lequel les éditeurs devraient réserver annuellement au moins 50 % des diffusions de publicités pour le cinéma à des films européens dont le devis de production est inférieur à 5 millions d'euros, y compris entre 18 heures et 23 heures.
D'une manière générale, ce dispositif serait difficile à mettre en œuvre par les régies publicitaires et peu attractif pour certaines chaînes au regard de leur ligne éditoriale. Il pourrait aussi évincer les films dits « du milieu », dont le budget se situe dans une fourchette entre 5 et 7 millions d'euros, au profit des films à gros budgets. Il pourrait enfin favoriser les distributeurs les plus importants, qui seraient en capacité de proposer - et ce, en négociant des tarifs avantageux - à la fois des films à petit et gros budgets.
Pour ces raisons, le Conseil craint que les modalités envisagées ne réduisent fortement la portée de l'expérimentation et ne permettent pas d'en tirer d'enseignements à son issue.
Sous réserve d'une expertise plus approfondie, une alternative pourrait consister à inciter les éditeurs et leurs régies à prendre des engagements en faveur de la diversité des films promus. Ceux-ci pourraient être formalisés dans une charte interprofessionnelle, à l'exclusion de toute fixation de références tarifaires, la politique tarifaire préférentielle demeurant du seul choix discrétionnaire des régies.
Si toutefois le Gouvernement maintenait le principe d'un quota pour les films à budgets faibles ou moyens, le CSA considère que le plafond devrait être porté de 5 millions d'euros à 7 ou 8 millions d'euros, afin d'éviter l'effet d'éviction des films dits « du milieu ».
Le CSA s'interroge par ailleurs sur la portée de la disposition prévoyant que le quota doit être respecté « respectivement sur l'ensemble de la zone de service de l'éditeur et sur une partie de celle-ci ». Cette rédaction lui semble susceptible de prêter à confusion et d'aboutir à une impossibilité pour les annonceurs du cinéma de bénéficier de l'ouverture de la publicité segmentée en matière de cinéma en raison de la complexité à laquelle seraient confrontés les éditeurs pour répondre à cette exigence.
Pour ce qui concerne le contrôle du respect du système de quotas, si ce dernier était maintenu, le projet de décret ne précise pas si, durant cette expérimentation, il reviendrait au CSA d'en assurer le respect. Le CSA estime par ailleurs utile que des précisions soient apportées sur la comptabilisation éventuelle dans ces quotas des publicités en faveur des distributeurs ou des salles de cinéma, des produits dérivés ou encore des publicités qui font la promotion d'un autre produit mais qui sont associées à la sortie d'un film.
Enfin, le CSA rappelle que cette expérimentation doit s'effectuer dans un cadre protecteur du jeune public. Une attention particulière devra notamment être portée aux publicités en faveur des œuvres cinématographiques assorties d'une interdiction aux mineurs. Sa recommandation du 4 juillet 2006, qui encadre notamment les messages publicitaires pour les vidéogrammes d'œuvres cinématographiques, aura vocation à s'appliquer à ces publicités.
Concernant la règle dite des « 20 minutes »
Le CSA n'est pas favorable à la suppression de la règle imposant une période d'au moins vingt minutes entre deux interruptions publicitaires au sein d'une émission. Si cet assouplissement laisserait inchangés les volumes publicitaires et offrirait une plus grande souplesse aux éditeurs pour valoriser leurs écrans, il aboutirait à des interruptions plus régulières des programmes, au détriment du confort des téléspectateurs.
Concernant les spots et émissions de téléachat
Le CSA approuve les modifications prévues des dispositions du décret du 27 mars 1992 relatives au téléachat.
S'agissant plus particulièrement des spots de téléachat, il préconise de viser spécifiquement les dispositions du décret relatives à la diffusion des messages publicitaires qui ont vocation à leur être appliquées. Par ailleurs, il s'interroge sur la pertinence de l'application à ces spots des dispositions relatives à la publicité segmentée.
Dans un souci de protection des téléspectateurs, il suggère également que soient rendus applicables aux spots de téléachat les articles 25 et 26 du décret du 27 mars 1992. L'article 22 du décret du 27 mars 1992 pourrait ainsi être rédigé comme suit : « Les articles 3, 4, 5, 7, 8, 9 et 10 du présent décret applicables à la publicité télévisée s'appliquent également aux émissions de téléachat. Lorsqu'elles sont diffusées au sein d'écrans publicitaires, ces offres respectent les dispositions des articles 3 à 8, 10 à 12, [13], 14 à 16 et 25 à 26 du présent décret. ».
Enfin, le CSA souligne qu'il sera amené à préciser les modalités de distinction entre les messages publicitaires et les spots de téléachat.
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