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Le régulateur aura changé de nom, de collège, de champ d’action, de dimension, d’organisation et même de localisation. Une chose toutefois n’aura jamais varié tout au long de ces années : notre engagement au service des publics. »
Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, a présenté, lundi 22 janvier, les vœux du régulateur au secteur audiovisuel et numérique.
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames les présidentes et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs, en vos titres et mérites respectifs,
Chers amis,
En vous accueillant ici ce soir, dans ce musée du Quai-Branly où le Président Jacques Chirac voulait voir « une incomparable expérience esthétique en même temps qu’une leçon d’humanité », je ne peux m’empêcher de relever toute la force du message que porte ce haut lieu de Culture. Pour nous tous, qui avons la chance d’œuvrer chaque jour dans un univers qui fait de nous des témoins privilégiés de l’époque et du monde, de ses progrès comme de ses chaos, il y a là une invitation toujours utile à la mise en perspective et à la réflexion.
C’est en tout cas une grande joie pour le collège, la direction générale et l’ensemble des collaborateurs de l’Autorité de vous souhaiter la bienvenue. Je vous adresse en leur nom comme au mien nos vœux les plus chaleureux de santé, de bonheur et de succès pour cette nouvelle année 2024.
Une année olympique, mais aussi une année électorale et européenne, dominée par des enjeux géopolitiques majeurs pour notre continent, et de manière plus générale une année riche d’échéances pour notre domaine d’activité.
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En laissant derrière nous les rivages de l’année écoulée, nous retiendrons que, sur la mer de la tranquillité que nous avons en partage, la houle du changement n’aura pas manqué d’intensité. Pour l’Autorité, 2023 restera comme une année de consolidation et d’innovation.
L’Autorité a d’abord déployé tout l’éventail de ses missions, qu’elles soient historiques ou nouvelles.
Dans le domaine de la télévision, elle a délivré les nouvelles autorisations et conclu les nouvelles conventions des groupes TF1 et M6. Elle a aussi, et pour la première fois, accordé au groupe France Télévisions l’autorisation de diffuser ses programmes en ultra haute définition à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Dans le domaine de la radio, l’Autorité a accéléré le déploiement de la radio numérique terrestre. Elle couvre désormais près de 60% du territoire métropolitain.
Nous avons également engagé l’élaboration d’un Livre blanc sur l’avenir du média radio, qui sera publié au printemps, et mis en place l’observatoire des podcasts avec le ministère de la Culture.
L’Arcom a parallèlement rempli activement ses missions en matière de protection des publics, de pluralisme et de déontologie des programmes. Elle est intervenue chaque fois que les règles fixées par la loi ou les conventions étaient franchies. Elle s’est engagée toujours plus avant en faveur de la protection des mineurs face aux dangers des écrans, a adopté, avec l’Arcep, une recommendation pour diminuer l’impact environnemental des services audiovisuels et numériques, sans oublier notre bilan des actions de lutte contre la haine en ligne.
Face au conflit au Proche-Orient, le collège a réuni les rédactions pour les appeler à la vigilance dans le traitement de l’information, afin de ne pas alimenter des tensions et fractures au sein de notre société. Le principe cardinal de responsabilité, contrepartie naturelle de la liberté de communication, doit être, pour tous ceux qui œuvrent pour la bonne information de nos compatriotes, une exigence de chaque instant.
Par ailleurs, l’Arcom a continué d’adapter son organisation et son fonctionnement à l’extension de ses missions. Notre collège a été recomposé, avec l’arrivée de deux nouveaux membres : Antoine Boilley et Bénédicte Lesage. A cette occasion, nous avons mis en place un nouveau groupe de travail consacré à l’éducation aux médias, à l’information et à la citoyenneté numérique ainsi qu’à la protection de l’environnement et à la santé publique.
Nous avons aussi lancé une mission sur l’intelligence artificielle et consolidé nos liens avec le monde académique, à l’image de notre récente journée d’études qui a rassemblé une trentaine de chercheurs européens. L’Autorité a par ailleurs renforcé ses équipes, en particulier la direction des plateformes en ligne, fait évoluer le champ d’action de ses antennes régionales, refondé ses instances sociales. Et nous préparons à présent notre prochain déménagement, qui certes nous éloignera des rives de la Seine et du Pont Mirabeau cher à Guillaume Apollinaire, mais nous ouvrira d’autres horizons sur l’est parisien.
Cette année de consolidation a également permis de conforter l’ancrage européen et international de l’Arcom.
Le 25 août 2023 a marqué une étape majeure dans l’entrée en vigueur du règlement européen sur les services numériques. Ce texte fondateur, premier pas vers une régulation des grands acteurs du numérique, permet de mieux armer notre continent dans la lutte contre les contenus illicites, contre la haine en ligne ou la manipulation de l’information. Il transforme en profondeur nos missions et ouvre un nouvel horizon à la régulation. Pour préparer sa mise en œuvre ainsi que notre futur rôle de coordonnateur des services numériques pour la France, en lien avec la CNIL et la DGCCRF, nous avons formalisé nos relations avec la Commission européenne et resserré nos liens avec nos homologues européens.
Nous avons également amplifié notre participation aux grands réseaux internationaux : le réseau des futurs coordonnateurs numériques, qui va constituer, sous la présidence de la Commission, le comité européen des services numériques ; le réseau européen des régulateurs audiovisuels, l’ERGA, qui va devenir prochainement le comité européen pour les services de médias. Comme le disait Madame de Staël, « il faut, dans nos temps modernes, avoir l’esprit européen. » L’Arcom est désormais un acteur incontournable de la régulation audiovisuelle et numérique sur le théâtre européen, niveau chaque jour plus pertinent pour embrasser les questions qui assaillent nos sociétés. Et je m’en voudrais de ne pas mentionner le réseau des régulateurs francophones, le REFRAM, que nous présidons et qui tiendra prochainement une importante réunion à Abidjan consacrée à la régulation numérique.
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Si 2023 fut intense, 2024 ne sera pas en reste ! Elle se présente en effet comme une année à forts enjeux pour l’avenir de notre paysage audiovisuel et numérique.
Des échéances importantes nous attendent.
Les élections européennes mettront d’abord fortement à profit les compétences de l’Arcom. Nous adopterons courant février une délibération fixant les modalités de couverture de ce scrutin par les médias.
A cet égard, le collège entend être particulièrement vigilant quant au respect par les éditeurs des règles applicables en matière de pluralisme des courants de pensée et d’opinion. Ces règles, je tiens à le rappeler, ont vocation à trouver toute leur place dans les programmes qui concourent à l’information, y compris dans les émissions de débat. De même, au regard de l’importance de cette élection pour notre continent et face aux actions de déstabilisation des « ingénieurs du chaos », l’Autorité sera particulièrement attentive, en liaison avec Viginum et les plateformes en ligne, aux risques d’ingérences étrangères et de manipulation de l’information.
Un autre évènement d’ampleur aura lieu en 2024, avec les jeux olympiques et paralympiques. Ce rendez-vous exceptionnel doit être l’occasion de progrès significatifs pour la représentation du sport féminin et du parasport à l’antenne. Nous invitons tous les éditeurs à se mobiliser pour que 2024 marque une étape décisive sur les enjeux prioritaires que constituent la place des femmes dans les médias, pour atteindre enfin la parité, et la représentation du handicap comme de la diversité. Les médias audiovisuels doivent être davantage à l’image de notre société. Il en va de la confiance que nos compatriotes placent en eux. Il en va aussi de la cohésion de notre pays.
Enfin, deux dossiers d’envergure seront au cœur de notre action tout au long des prochains mois.
Le premier concerne la mise en avant des services d’intérêt général pour que nos chaines nationales soient bien exposées face aux plateformes étrangères sur les nouveaux environnements numériques des téléviseurs connectés.
C’est une question d’équité et de souveraineté économique et culturelle. Le collège se prononcera sur ce dossier très attendu dans les prochains jours.
Le second a trait aux autorisations des 15 services de la TNT qui arrivent à échéance en 2025. Après la consultation publique et l’étude d’impact réalisées en 2023, l’appel aux candidatures sera lancé courant février, notre objectif étant de conclure les conventions et de délivrer les autorisations des éditeurs qui seront retenus au terme de la procédure avant la fin de l’année. Chacun mesure l’importance de cette échéance pour l’organisation, le pluralisme et l’équilibre de notre paysage audiovisuel pour les dix prochaines années. C’est une belle occasion pour les éditeurs qui vont présenter leur candidature de proposer de nouveaux programmes, mais aussi pour prendre de nouveaux engagements, afin de toujours mieux répondre aux attentes des téléspectateurs.
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Au-delà de ces grandes échéances, l’Arcom poursuivra son engagement pour conforter et faire rayonner le modèle français.
Cette ambition implique d’accompagner ceux qui l’incarnent et le font vivre : je veux parler de nos groupes audiovisuels. Face à la transformation des usages et du marché, tous les éditeurs, qu’ils soient publics ou privés, sont aujourd’hui engagés dans de profondes évolutions stratégiques. Ils sont tenus d’investir dans les technologies comme dans les contenus, pour rajeunir leurs audiences et rivaliser avec la concurrence. Au même moment, leur modèle économique est bousculé par les géants du numérique et les contraintes budgétaires.
Si l’on peut saluer l’esprit d’initiative de nos groupes pour faire face au changement, nous devons aussi les entendre pour mieux les accompagner, en évitant les querelles inutiles.
Pour l’audiovisuel public, qui joue un rôle essentiel dans l’équilibre du paysage, l’Arcom défend trois priorités : d’abord, pérenniser ses modalités de financement par une ressource publique affectée, seule à même de garantir son indépendance et sa capacité à porter la diversité de ses missions ; ensuite, réaffirmer toujours plus la singularité de ses offres au service de tous les Français ; enfin, rassembler davantage ses forces, en développant les coopérations entre ses composantes et en poursuivant la réflexion sur sa gouvernance. Les prochains contrats d’objectifs et de moyens doivent être l’occasion de porter une nouvelle ambition pour le service public.
Pour les entreprises audiovisuelles privées, qui participent du pluralisme et du dynamisme de notre paysage, la captation croissante de la publicité par les acteurs numériques extra-européens pèse sur l’équilibre de leur modèle. Inventer et mettre en œuvre un meilleur partage de la publicité au profit des médias qui investissent dans les contenus et corriger ainsi les déséquilibres qui pénalisent nos acteurs nationaux est devenu un impératif. Nous publierons à la fin du mois les conclusions d’une étude, lancée conjointement avec le ministère de la Culture, consacrée à l’évolution du marché publicitaire. Elle devrait contribuer à éclairer ce débat et l’action des pouvoirs publics.
Mieux accompagner les acteurs, c’est aussi réfléchir à une adaptation des textes aux évolutions du moment.
Modifiée près de 100 fois, la loi de 1986, dont les principes gardent toute leur pertinence, a perdu en lisibilité. C’est pourquoi nous proposons d’engager sans tarder un travail de codification, qui soit aussi l’occasion d’un peignage d’ensemble de ce texte fondateur. Nous avons depuis longtemps un code du cinéma et de l’image animée. Il est plus que temps d’avoir un code de la communication audiovisuelle et numérique.
Ce travail ne saurait être exclusif d’initiatives visant à moderniser plus avant notre cadre normatif, comme l’ont proposé ces dernières années plusieurs travaux parlementaires. Je pense en particulier au dispositif anti-concentration au cœur du débat sur le pluralisme. Aux côtés de l’Autorité de la concurrence, et comme l’a recommandé l’inspection générale des finances, un pouvoir d’appréciation renforcé pourrait être confié au régulateur sectoriel. Il permettrait de sortir des limites d’une simple logique de seuils et de mieux prendre en compte les réalités contemporaines, notamment la dimension plurimédias des groupes.
Faire rayonner le modèle français, c’est également soutenir la création. Si nos médias historiques restent les principaux financeurs de la création, la contribution à la production nationale des services de « streaming » étrangers, grâce aux conventions conclues par le régulateur et aux accords interprofessionnels, est aujourd’hui sans équivalent en Europe.
C’est aussi renforcer la lutte contre le piratage, qui a sensiblement diminué depuis la création de l’Arcom.
Nous pouvons, là encore, aller plus loin en limitant les phénomènes de contournement, en réduisant les délais procéduraux et en développant nos actions de sensibilisation, à l’image de la campagne de communication lancée avec le CNC.
Le modèle que nous voulons défendre, c’est enfin celui d’une information pluraliste, fiable et indépendante.
A l’heure où nos compatriotes expriment défiance et « fatigue informationnelle », nous avons engagé une étude sur les sources d’information des Français, dont les conclusions seront rendues publiques en mars. Alors que chacun peut partager un contenu ou une information en ligne, que l’intelligence artificielle vient bouleverser encore plus les frontières entre le vrai et le faux, la spécificité des médias professionnels doit être affirmée. Des médias qui portent une information fiable, présentée et débattue selon une pluralité de points de vue, à même de nourrir le débat public et notre vie démocratique.
A cet égard, le règlement européen sur la liberté des médias va fournir un nouveau cadre pour assurer la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias sur notre continent. Au niveau national, les Etats généraux de l’information offriront sans nul doute de nouvelles orientations pour renforcer les dispositifs existants. Nous y contribuerons.
Enfin, si elle n’a pas vocation à endosser le costume de je ne sais quelle police de la pensée et si elle entend être garante de la liberté de communication, l’Arcom restera néanmoins vigilante quant au respect de leurs obligations par les services de télévision et de radio.
Elle exercera en la matière la plénitude de ses attributions car, pour reprendre une formule célèbre, « la confiance n’exclut pas le contrôle ».
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
2024 marquera aussi la dernière année des mandats de trois membres de notre collège : Anne Grand d’Esnon, Hervé Godechot et votre serviteur. Quand nous la quitterons, l’Arcom sera, comme l’a si bien écrit Paul Verlaine, « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Le régulateur aura changé de nom, de collège, de champ d’action, de dimension, d’organisation et même de localisation.
Une chose toutefois n’aura jamais varié tout au long de ces années : notre engagement au service du public.
Je vous remercie de votre attention et vous invite à présent au meilleur moment des cérémonies de vœux : je veux parler du verre de l’amitié.
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