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calmesnil
(...) le 405 lignes en Angleterre avec plusieurs chaînes, mais en France le 819 lignes une chaîne (...)
Cher Calmesnil,
Merci à Martin pour les détails techniques. Il y a aussi les historiques :
L'explication du maintien du 405 lignes britannique après-guerre est parfaitement logique : à l'interruption des émissions de la station d'Alexandra Palace pour raisons de sécurité à la déclaration de guerre en septembre 1939, il y avait déjà 20 000 (oui, VINGT MILLE !) téléviseurs en fonctionnement dans la région de Londres.
Déjà vu précédemment ici, le pylône d'Alexandra Palace
rayonnait environ 60 km autour de Londres de 1937 à 1956.
Il a été alors remplacé par le centre BBC de Crystal Palace
Pour mémoire, le "BBC Television Service" (l'actuelle BBC One)avait seulement deux ans et demi d'existence, le 405 lignes tout électronique d'EMI-Marconi venant d'être adopté aux dépens du 240 lignes mécanique de Baird en février 1937. C'est dire le succès qu'avait su acquérir la BBC avec des programmes nombreux et attractifs malgré le blocus des distributeurs de films lui interdisant toute diffusion de longs métrages :
Janvier 1938 : la Télévision de la BBC n'a pas un an, et publie déjà une pleine
page de programmes chaque semaine dans l'hebdomadaire Radio-Times.
L'imagination des programmateurs est sans limites : variétés, théâtre,
jardinage, mode, documentaires, actualités cinématographiques...
Les émissions ont lieu de 15 à 16h et de 21 à 22h du lundi au samedi.
Document © BBC Radio Times - 7 janvier 1938
Cliquer dans l'image ou ici pour l'afficher en grande taille
Pour télécharger tous les programmes de l'année 1938
(avec nombreuses photos) PDF taille 36 Mo : cliquer ici
Aussi, dans l'immédiate après-guerre, le Hankey Committee chargé d'étudier le devenir technique de la télévision préconisait-il le maintien du 405 lignes.
Il ne pouvait être question de revenir sur l'engagement pris avant-guerre de ne plus changer les normes, puisque vingt mille foyers avaient déjà un récepteur en état de fonctionnement malgré six ans d'interruption forcée.
Ce maintien du 405 lignes se justifiait : l'extension du réseau vers Birmingham puis le nord de l'Angleterre et l'Ecosse était déjà programmée pour les années 40 si la guerre n'était pas intervenue. Le General Post Office (les PTT) prévoyait déjà de tirer un câble coaxial de Londres à Birmingham, la vidéo de 3,5 MHz de bande passante s'y logeant très correctement même sur une telle distance tandis que l'audio serait transmis par ligne téléphonique identique à celles utilisées pour les radios de la BBC. Ce sera réalisé quelques années plus tard, en 1949, avec le lancement de l'émetteur de Sutton Coldfield, près de Birmingham.
Le 405 lignes, encore considéré comme satisfaisant (les USA venant de passer seulement depuis 1941 de 441 à 525 lignes) sur des téléviseurs à écrans encore petits (36 cm maximum de diagonale), et les constructeurs britanniques souhaitant se prémunir contre les royalties à payer aux Etats-Unis s'ils adoptaient leurs normes (son FM, polarité négative, définition 525 lignes adaptée en 625 lignes au secteur 50 périodes européen), tout concordait pour inciter les Britanniques à maintenir ce standard encore un moment. Il permettrait même, si nécessaire, de lancer plus tard une deuxième chaîne sur la bande III encore inexplorée en Europe. La BBC n'émettait qu'en bande I, sur cinq canaux de 5 MHz de bande passante (plus tard classés en "norme A"), la bande III étant encore trop difficile à maîtriser avec les matériels de l'époque.
Le Hankey Committee avait toutefois proposé d'étudier éventuellement la création d'un réseau à haute définition de 1000 lignes si la BBC décidait de limiter son réseau 405 lignes aux six plus grosses agglomérations du pays. Cette proposition resta sans suite. D'ailleurs, le principal problème rencontré dans le développement de la télévision de l'immédiate après-guerre était très particulier : la fabrication des téléviseurs avait dû s'arrêter un moment par manque de... bois pour fabriquer leurs ébénisteries, la priorité étant donnée aux charpentiers et menuisiers pour la reconstruction des logements bombardés.
Par la suite en 1954 la loi sur la télévision (Television Act) ouvrira la porte à la télévision commerciale, celle-ci devant toutefois se plier à deux règles entre autres : émettre uniquement en bande III (ce qui lui posera de nombreux problèmes tant en émission qu'en réception, bien moins souples qu'en bande I), et régionaliser ses programmes en créant des compagnies rassemblées au sein d'un programme national ITV auquel elles contribuaient en fonction de leurs moyens. Une station (Channel Television, toujours en activité, contrairement à nombre de nos TV locales) fonctionne même depuis 1962 dans les îles anglo-normandes (population 165 000 habitants).
En France, le problème était tout autre.
D'abord, avant-guerre, les émissions, bien qu'ayant débuté officiellement en avril 1935 en 180 lignes avec René Barthélémy, se cantonnaient à quelques essais en semaine, l'après-midi de 15h à 16h, ainsi qu'en fin d'après-midi le dimanche.
Contrairement à la BBC où les responsables nommés à la télévision avaient décidé de la gérer comme ses cousines de la radio, avec des programmes étoffés et attirants, en France c'étaient les PTT qui étaient en charge de la radio d'Etat qui souffrait de comparaisons très défavorables avec les radios privées (Poste Parisien, Radio-Cité, Radio-Luxembourg...). Même après le passage au 455 lignes en 1938 la télévision végétait avec seulement 300 (oui, TROIS CENTS) téléviseurs dans toute la région parisienne, pourtant très largement couverte par les 30 kW de la Tour Eiffel, "le plus puissant émetteur du monde"...
Nous l'avons déjà vu, c'est l'Allemand Kurt Hinzmann et son "Fernsehsender Paris", ses superbes installations et studios de Cognacq Jay, qui a donné un coup de fouet à la télévision parisienne qu'il avait sauvé du sabotage et remise à ses subordonnés français à la Libération.
Alors que les émetteurs de la BBC avaient tous échappé aux bombardements nazis, la RTF était exsangue : Allouis (inauguré début 1939) et la quasi totalité des émetteurs ondes moyennes étaient à reconstruire. Ils avaient donc la priorité, et jusqu'en 1948 la télévision française se remit doucement en route, avec son 441 lignes allemand et quelques centaines de téléviseurs capables de le capter.
En 1948, les divers chercheurs français qui avaient travaillé sur une définition plus haute (René Barthélémy et Henri de France entre autres, avec 1029 lignes) poussaient le ministre de l'information de l'époque, un certain François Mitterrand, à faire comme les Britanniques : éviter absolument le 625 lignes américain imposé via l'Allemagne, mais ne pas rester non plus limités à une définition trop juste.
La France décidait donc, et nous l'avons regretté combien de fois ici, de se lancer dans l'aventure du 819 lignes, espérant convaincre les autres pays de la suivre, on sait ce qu'il en est advenu...
Et l'on sait aussi que, là où les Britanniques et les Belges ont décidé de franchir le pas lorsqu'il a fallu se lancer dans l'UHF pour les nouvelles chaînes au début des années 60, en adoptant le son FM et la polarité vidéo négative notamment, la France s'est maintenue dans une norme L bâtarde qui empêchera plus tard bien des évolutions (la stéréo et les émissions bilingues en "Zweiton" notamment), qui ne seront possibles que bien, bien, bien plus tard avec le Nicam...
Et nous ne parlerons pas non plus de la dernière catastrophe technico-commerciale, toujours née des travaux de ce pauvre M. de France, sa couleur SECAM imaginée dès 1958 mais que nos gouvernants de l'époque ont littéralement torpillé au niveau international (Général de Gaulle en tête pour la conférence de Stockholm, puis M. Pompidou en 1972 dans la guerre des couleurs en Italie).
Comme quoi, la technique et ses enjeux considérables sont choses bien fragiles face aux décisions des politiques, qui parce qu'ils n'y connaissent souvent rien, se lancent (et nous lancent) dans des aventures désastreuses.
Ce pauvre Monsieur De France a une bien maigre consolation, l'esplanade où trône l'immeuble de France Télévisions porte désormais son nom...